La divagation d’un regard libre
A 23 ans, j’ai acheté mon premier appareil photo d’occasion, un Fujica. Lors d’un mariage où je m’étais dissimulée derrière un pilier, je photographiais chaque personne sortant de l’église par la petite porte de la sacristie. Si mon poste d’observation me parut astucieux, je découvris quelques temps plus tard que mon argentique ne contenait pas de pellicule ; ma déception était à la hauteur de mon inexpérience, mais de cela j’ai appris la rigueur : vérification du matériel.
Educatrice spécialisée, je travaillais dans un foyer de l’enfance et utilisais la photographie comme moyen pour capturer la lumière intérieure de ces enfants aux parcours cabossés ; cette impression sur pellicule suivi du tirage révélait à l’enfant un aspect de lui-même dont il pouvait être fier…C’était le début d’une reconstruction possible d’une image de soi souvent défaillante. Je réalisais les tirages dans un petit labo de fortune et élaborais avec chaque enfant un carnet de vie qu’il emmenait à son départ.
En 2012, je fais l’acquisition d’un Lumix GH1 et lors d’un voyage en Egypte je renoue avec la photographie ; mon regard est à nouveau à l’affût d’un sujet à emprisonner, découverte d’une photo de rue : l’Egyptien ; cette photo provoque en moi le désir de m’y remettre avec un regard traquant la dimension artistique ; ce sera aussi un élément déclencheur de collaboration avec d’autres artistes, et le démarrage d’expositions.
Je suis une fille du bord de Manche, les photographies portuaires, de reflets, les histoires d’eau ont été un terrain propice d’expérimentation à mes débuts. J’ai aussi réalisé un travail sur la ruralité des gens de mon village et d’Auvergne.
Pendant le confinement, inspirée des travaux de la franco-américaine Vivian MEIER, j’ai pratiqué l’autoportrait ainsi qu’une série de photos : « Vue de ma fenêtre ». Au fur et à mesure de mes itinérances, j’ai développé une sensibilité particulière pour les photos de rue avec un post traitement en noir et blanc. Le noir et blanc est une invitation au recul et la couleur au souvenir ; notre mémoire fonctionne par images et je pense que les scènes qui nous parlent sont liées à la résurgence d’une émotion parfois absente de notre propre conscience. L’approche que j’ai de la photographie est plutôt intuitive où j’expérimente l’excitante liberté de traquer les perspectives, les jeux d’ombre et de lumière au milieu desquels l’être devient l’épicentre de l’émotion, d’un questionnement, d’une trajectoire… Chacune des photographies reste cependant la conjugaison de circonstances particulières où le hasard est souvent le maitre d’œuvre d’une réalisation photographique.
A partir de scène de rue prises à la volée ou bien volées à la rue, le regard que je porte au sujet tend à restituer une atmosphère, une solitude, un mouvement, une respiration… Essayer d’approcher au plus juste l’intériorité de l’être dans son environnement… faire écho à l’infra-ordinaire, de gens ordinaires.
Dans chaque photo se cache une histoire, une tragédie, une vie à rêver, une vie qui s’éloigne… Dans chaque photo une émotion. Mélangez votre regard au mien, ces photos vous révèleront sûrement le secret d’un instant particulier.